Ce qui s’apprend par ennui.

Je m’ennuie. J’ai des choses à faire, des notifications sur mes applications, des contacts dans mon téléphone, de l’argent sur mon compte en banque, et pourtant, à cet instant, maintenant, je m’ennuie.

Je n’ai pas envie de travailler, d’appeler un ami ou de dépenser de l’argent. J’ai quitté le bureau, je me suis assise à l’une des premières terrasses du quartier et j’ai décidé d’écrire.

Je me suis souvent ennuyée lorsque j’étais enfant, pendant ces interminables journées d’école et ces retours à la maison, incapable de trouver un véritable intérêt aux divertissements faciles proposés : faire mes devoirs, regarder la télé, jouer avec mes amies (à la même chose, souvent). Ma mère ne semblait pas voir de problème à mon ennui. Il lui a toujours paru important de savoir s’ennuyer. J’ai donc appris. J’ai même fini par aimer m’ennuyer. L’ennui provoque mon imaginaire, réveille mes envies, fait silence en moi.

Quand à cet instant, maintenant, je m’ennuie, je ne désire pas Paris. Au milieu de la foule de divertissement que propose cette ville, je n’aime que le vent qui s’étale dans les rues et les arbres qui bordent les avenues. Silencieuse, je suis alors assise à une terrasse et j’observe les passants. Je me demande si eux aussi s’ennuient.

J’ai l’impression d’avoir 80 ans à écrire une chose pareille, mais je sens qu’une part de moi force encore la sagesse et cette sensation traduit certainement mes presque trente ans. Je me suis forcée à quitter le bureau, forcée à marcher, forcée à m’asseoir, forcée à me taire. Parce que je m’ennuie malgré les activités, les sollicitations, les opportunités, je me suis contrainte au profond ennui : celui où il ne se passe vraiment rien. L’instant suivant, je réalise que je ne m’ennuie plus. Je ne m’ennuie plus parce que j’autorise l’ennui. Au fond, j’aime m’ennuyer. J’avais envie de m’ennuyer depuis m’être levée ce matin. Je n’avais aucune envie d’être occupée. Être occupée me lasse si vite, très vite, trop vite. Vous en jugerez selon votre propre rapport à l’ennui.

J’ai toujours entrepris, et j’ai rarement mené à terme. J’ai souvent pensé que c’était parce que je m’ennuyais. Je crois en cet instant, maintenant, que je voulais m’ennuyer. Je le veux au point tel que cela arrive si vite, très vite, trop vite. Je me pose sur des sujets ou dans des considérations qui, au fond de moi, ne m’intéressent pas. Ils m’occupent. Ils me divertissent. Ils me challengent, me surprennent parfois, m’apprennent toujours. Davantage sur moi que sur n’importe quel autre sujet.

Pourtant je sens souvent, très souvent, trop souvent, naître en moi un bouillonnement très difficile à éteindre, un désir insatiable de discussions, d’apprentissage et de rencontres. Un désir très difficile à combler, que je calme en écrivant des lignes et des pages. Quand je ne m’affaire pas à réfléchir à des moyens et des stratégies pour les autres: business ou personnels, j’écoute et je mobilise toute l’empathie dont je suis capable pour échanger avec l’autre. Et je me dis toujours la même chose :

Qu’est-ce qui est plus important que d’être tournée vers soi et vers l’autre ? Qu’est-ce que je fais à persister dans une voie qui ne donne pas toute la place à l’humain, au soi, à l’autre ?

Pourquoi les formations, les diplômes, donneraient meilleur crédit à aider, accompagner, écouter l’autre mieux que l’intuition, l’empathie, et l’intérêt ? Comment apprendre à vivre avec soi, avec son ennui, avec ses envies ?

Je me pose la question. Je me la pose parce que j’ai souvent confondu l’ennui et la flemme. J’ai jugé mon ennui comme un abandon, un manque de résilience, un défaut qui me ferme des portes; quand il s’avère que l’ennui est, de mon point de vue, un manque d’intérêt. Le non jugement de l’ennui est purement et simplement la traduction du manque d’intérêt.

Au fond je n’ai pas de profond intérêt à exercer mon métier. Je sais le faire, je peux le faire, mais mon expérience quotidienne de la vie m’éloigne du véritable intérêt de cette activité. Peut-être suis-je cérébrale, sensible, emphatique au point tel que je ne parvienne pas à éloigner mon appétit pour l’ennui quand je poursuis cette voie. Peut-être que je devrais écouter mon envie d’aller vers l’autre, d’aller à l’autre, et d’interroger l’autre qui a envie de battre l’ennui.

Il ne faut pas battre l’ennui. L’ennui est une rencontre avec soi, qui donnera la place à toutes les questions auxquelles on a besoin de répondre pour ne pas mourir d’ennui dans une vie qui n’est pas la notre.

L’ennui, cette activité si peu recommandée dans notre société est très certainement celle-ci même qui nous offre l’opportunité béante d’évoluer.


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